mercredi 4 avril 2007

Travail, chômage, quelques idées toutes faites.

  • Le chômage des jeunes.

Un sacré sujet, dont on parle tellement que l’on ne sait plus vraiment ni ce que c’est, ni ce qui est vrai. On constate que le problème est gravissime en période électorale, d’importance certaine le reste du temps, ou encore récurrent, maladif et propre à la France aux yeux des médias.

Il est certain qu’un présidentiable, puisque c’est d’actualité, passera par le discours démagogique et habituel du chômage des jeunes. Celui des vieux est moins abordé. Est-ce parce qu’ils ont déjà leurs habitudes de vote ? Est-ce pour éviter les vagues autour de l’apparente menace de l’allongement de la durée du travail ?

Le chômage des jeunes, on le constate dans un rapport émis par l’Anpe récemment, est le reflet de notre temps : « la classe d’âge la moins défavorisée du point de vue de la durée totale du chômage est celle des 20-24 ans. En revanche, ces jeunes demandeurs d’emploi s’inscrivent nettement plus souvent que leurs aînés. Au total, leurs périodes de chômage sont à la fois plus nombreuses et plus courtes ». Et puis bon, ils étudient aussi, parfois, les bougres.

Leurs emplois aussi, sont dans l’air du temps. Toujours selon l’Anpe, les métiers les plus recherchés sont : Vendeur en équipement de la personne, Secrétaire bureautique polyvalent, Agent de manipulation et déplacement de charges, Employé de libre-service, Agent de stockage et répartition de marchandises, Hôte de caisse libre-service, Conducteur-livreur, etc.

Aussi faut-il dire que si 8.2% des « jeunes » sont au chômage en France, les moins de 25 ans sont, en proportion, assez rarement à la recherche d’un emploi dans la mesure où nombre d’entre eux sont toujours scolarisés. Une mise en relief du contexte s’avère être d’une impérieuse nécessité.

Acrimed, le 10.04.06 a décortiqué le refrain médiatique dont chaque pièce journalistique s’est fait l’écho sur les planches du théâtre CPE.

Extraits.

Dès janvier, Le Monde (17 janvier) joue son rôle de journal de référence et prépare les esprits : « Quand on a un taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans de 22 % (contre 15,1 % en Allemagne et 12,1 % au Royaume-Uni)... ».

Le 1er février, Bernard Revel, en fin connaisseur de la société française, utilise ce chiffre magique pour convaincre les lecteurs de L’Indépendant du Midi des vertus du CPE : « Pour les 23 % de jeunes de moins de 26 ans actuellement au chômage, mieux vaut sans doute un CPE que rien du tout. »

Le 7 février, Hervé Chabaud, dans L’Union, brandit le chiffre magique pour annoncer l’apocalypse que nous promet le refus de la “réforme” : « Le fait d’avoir près d’un jeune sur quatre au chômage ne préfigure-t-il pas le niveau général des sans-emploi demain si rien n’est fait pour offrir d’autres possibilités d’avoir du travail ? »

Toujours en février, on pouvait lire dans la présentation de l’émission « Ripostes » intitulée « Jeunes : Attention, planète précaire » (dernière diffusion le dimanche 5 février 2006), cette trouvaille destinée à donnner sa dimension vraiment dramatique (et sensationnelle) au mal qui frappe la jeunesse française : « Précarité de l’emploi : près d’un quart des moins de 26 ans pointent à l’ANPE ».

La presse écrite, de son côté, intensifie son travail de « mise en perspective » ...

Paris Match, le 9 mars, sous la plume d’Axel de Tarle : « Non au C.p.e. ? Alors oui au chômage des jeunes ! Taux de chômage des jeunes : 25% . Mais, surtout, ne rien faire ! »


Jean Pierre Pernaut, dans le JT de 13 heures de TF1, le 5 avril : «La France est aujourd’hui, on le sait , le pays d’Europe où le chômage des jeunes est le plus grave : 25 % , un sur quatre . Chez nous, ce qu’ on appelle la flexibilité du travail continue à faire peur, on l’a vu depuis deux mois ». Et, au terme d’un reportage sur le chômage des jeunes dans certains pays d’Europe, il réaffirme martialement sa certitude : « 7 % de jeunes chômeurs, on l'a vu dans ce pays, le [danemark] , 25 % en France... »

Challenges, le 23 mars, dans le “Bloc-Notes” de Jean-Marie Colombani : « le taux de chômage des jeunes (de 15 à 29 ans) est de 17 % soit presque le double du taux de chômage de l’ensemble de la population. »

En choisissant une tranche d’âge élargie vers le haut, le patron du Monde affirme l’originalité de son esprit rebelle. Mais dans les colonnes de son journal, le 2 avril, il revient au classicisme et donne le même chiffre que ses confrères : « le taux de chômage des moins de 25 ans ( 22,3% ) place la France parmi les plus mauvais élèves de l’OCDE(*) ». Ouf !

En réalité, en France, le chômage touche 23% des jeunes sur le marché du travail

N’allons pas, comme en sourit Philippe Monti dans l’article d’acrimed, « imaginer que dans les files d’attentes de l’ANPE se mêlent de jeunes adultes et des adolescents en quête d’emploi, […] des enfants au regard perdu, parfois trop petits pour que leurs charmantes têtes blondes puissent seulement atteindre le bord du guichet... »

Toujours sur Acrimed, on peut lire de l’aveu même de Jacques Marseille, prédicateur ultralibéral qu’« en fait, ce ne sont pas 23 % des jeunes qui sont au chômage, mais 23 % des jeunes de 15 à 24 ans qui ne sont pas ou ne sont plus scolarisés et cherchent un emploi. Et la différence est de taille. En effet - et ce n’est pas forcément pour s’en réjouir-, les jeunes Français vont à l’école ou à l’université beaucoup plus longtemps que dans le reste de l’Europe. C’est cette réalité qui déforme de manière totalement caricaturale le fameux pourcentage de 23 %. Si l’on rapporte le nombre de jeunes chômeurs - 609 000 - à la totalité de leur classe d’âge - 7 833 709 -, on découvre alors - et c’est plutôt rassurant - que seuls 7,8 % des jeunes Français de 15 à 24 ans sont au chômage, soit... moins que la moyenne européenne (qui est de 8,2%) !

  • USA, ROYAUME UNI, des models à suivre (du coin de l’œil).

En terme d’emploi, le chômage est (en apparence) moins élevé en Grande Bretagne qu’en France, où le libéralisme est à l'oeuvre depuis dix-sept ans, ce qui provoque d’ailleurs l'extase d’un grand nombre d’observateurs, et de Nicolas Sarkozy qui ne cache pas son admiration pour Tony Blair. Pour exemple, de 93 à 96, le chômage est brutalement passé de 10.4% à 7.7%.

La magie repose toujours sur la question « où est le truquage ». Ici, on la trouve dans la méthode de calcul, ce qui ne manquera pas de rapprocher la démarche de la récente polémique des chiffres du chômage en France(**).

Le pourcentage de chômeurs dépend du nombre d’actif. Or, au Royaume Uni, la population active diminue, et ce pour trois principales raisons.

Première raison, les femmes sans emploi ne sont pas comptées comme faisant partie de la population active si leur conjoint travaille. Deuxièmement, un grand nombre de personnes accablées et découragées par la précarité des emplois disponibles et le très faible niveau des salaires s’excluent d’elles-mêmes du dispositif, les allocations chômages étant telles qu’elles sont du même effet. C’est aussi ce que l’on constate aux Etats-Unis, et c’est pourquoi le BIT prend en compte dans sa méthode de calcul du nombre de chômeurs les personnes qui souhaitent avoir un emploi et non ceux indemnisés. Enfin, le troisième grand motif est l'accroissement spectaculaire du nombre d’handicapés.

Considérant les bidouilles statistiques, notons donc aux Royaume Uni et Etats Unis l'extrême faiblesse des allocations chômage pour ceux qui peuvent en bénéficier (ce qui oblige à travailler à n'importe quelles conditions et salaire pour ne pas mourir de faim) et l'existence de contrats hebdomadaires de travail avec aucune heure garantie, obligeant le salarié (si l’on peut dire) à attendre chez lui un coup de fil (il n'est pas considéré comme chômeur puisqu'il bénéficie d'un "contrat de travail").

L'emploi à temps partiel est aussi beaucoup plus développé en Angleterre, avec des salaires réduits en conséquence. En 2005, 25,5 % des emplois anglais sont à temps partiel comparé à 17,2 % des emplois français. Flexibilité.

Quelques caractéristiques anglo-saxonnes : Pas de limite légale (minimum et maximum) à la durée hebdomadaire du travail, pas de congés payés annuels obligatoires, préavis de licenciement très court, période d'essai à l'embauche pouvant aller jusqu'à vingt quatre mois (possibilité d'un licenciement immédiat) -Je pense très fort au CPE-, forte proportion d'enfants obligés de travailler, parfois très jeunes, et en plus de leur horaire scolaire, pour aider leur famille à survivre (ça, c’est bon pour les chiffres du « chômage des jeunes »).

Après ce rapide constat de l’état de délabrement du système néo-libéral prôné par l’OCDE (et d’autres), il est intéressant de poser un œil ou deux sur la France, à travers une simple comparaison avec, justement, la Grande Bretagne.

En effet, de 1990 à 2005, la France a créé plus d’emplois que cette dernière. Pour une population presque équivalente en nombre, sur les 15 années, la France a créé 2 520 000 emplois (+11,25%) contre 1 520 000 au Royaume Uni (+5,82%). Dans le même temps, la population active (emploi + chômage) a beaucoup plus augmenté en France (2 970 000) qu'en Grande Bretagne (960 000)… Forcément…

Selon l’OCDE aussi, d’ailleurs, sur une période de quatorze années, de 1990 à 2004, la France a créé 82 % d'emplois en plus que l'Angleterre.

Comme nous l’avons vu plus haut, une grande partie des chômeurs anglais est aujourd’hui invalide, et une grande part de la population active a été mise de côté pendant ces 15 années.

Le model libéral anglo-saxon n’est donc pas la raison de la baisse du nombre de chômeurs, mais il a mis à l’écart tout un pan de la population. Le modèle social français fait tampon en limite les dégâts d'une récession économique sur l'emploi alors que le modèle libéral, anglais ou américain, amplifie ceux-ci.

  • Les 35 heures vont nous couler

Le nombre d'heures travaillées chaque semaine (environ 910 millions) est identique en France et en Grande Bretagne, malgré un nombre d'emplois différent. Cela s'explique encore mieux en comparant la durée réelle du travail (ensemble des emplois à temps complet et à temps partiel) : 31,72 h en Angleterre et 36,28 h en France (par semaine).

Les statistiques internationales relatives à la durée du travail, ne prennent en compte que les emplois à temps complet, ce qui donne une présentation très déformée de la réalité.

En prenant les statistiques émanant indépendamment de chaque pays, on constate que la durée du travail est en moyenne de 34 heures par semaine aux Etats-Unis, à comparer avec une durée de 36 h en France, de 32 h en Grande-Bretagne et de 29 à 36 heures dans les principaux pays européens, pour l'ensemble des emplois à temps plein et à temps partiel.

En 2006, le nombre officiel de chômeurs est de 7 001 000 pour une population active de 151 428 000 personnes, soit un taux de chômage de 4,6%.

Cependant, 4 786 000 personnes cherchent un emploi, ou souhaitent en avoir un (selon le BIT). Comme au Royaume Uni, elles ne sont pas comptabilisées, puisque non indemnisées et par conséquent non inscrites (quelle utilité ?)

En réintégrant ces gens parmi les chômeurs (11 787 000) et dans la population active (156 214 000), le taux de chômage apparent de 4,6 % se transforme en un taux de chômage réel de 7,5%. (mais ne le dites pas à Nicolas Sarkozy)

(*) Puisque l’occasion se présente, parlons de l’OCDE (L'Organisation de coopération et de développement économiques), qui encourage le libre-échange, la concurrence et voit comme solution au chômage la déréglementation du marché du travail, reprenant souvent des arguments proches du libéralisme économique, en opposition avec les principes keynesiens et les conceptions d'inspiration socialiste de l'Etat-providence.

L’OCDE, qui tire régulièrement les oreilles des ses mauvais élèves (qui immédiatement tirent à leur tour les oreilles de leurs citoyens et de leur système), a son avis sur l’université. Si le chômage des jeunes en France s’explique principalement par la fausseté des chiffres, qui ne prennent pas en compte les jeunes qui étudient, alors il serait préférable, comme au Royaume Uni par exemple, de diminuer cette durée. Le jeune est flexible, jetable, quel gâchis de le garder sur les bancs de l’école ! D’ailleurs, l’OCDE trouverait normal que l’on augmente les droits d’inscription, car « les étudiants qui payent font plus attention au choix de leur cursus ». Autant lire que ceux qui n’ont pas les moyens (non issus des bonnes familles ou éventuellement refusant de travailler au McDo) peuvent aller bosser, et s’insérer.

(**)Concernant la polémique des chiffres entre l’Insee, l’Anpe, le Bit,… les mensonges et autosatisfactions du gouvernement, visitez le site d’ACDC.

Le collectif ACDC -Les autres chiffres du chômage- propose des alternatives en terme de calcul.

Lire à ce propos http://acdc2007.free.fr/acdc0803.pdf

Extraits.

« Au delà des actuelles controverses, la recherche d’un « vrai chiffre du chômage » est vaine, car il existe une diversité de situations de chômage, de

sous-emploi et de précarité, qu’il importerait donc éclairer par un petit nombre d’indicateurs pertinents. » « L’enquête Emploi est la seule source conjoncturelle qui décrit à la fois l’emploi, l’activité et le chômage, tout en fournissant des informations sur les revenus et les conditions de travail. Ses résultats sont indépendants de la volonté des gouvernements. Dès que possible, et conformément à ses objectifs initiaux, elle devrait servir de base à des indicateurs trimestriels cohérents. Plusieurs pays publient chaque trimestre les résultats de leur enquête Emploi, le Canada les publie même chaque mois. L’Insee doit obtenir les moyens financiers et humains d’exploiter cette enquête à un rythme trimestriel. »

« Le psychodrame mensuel autour de la publication des statistiques de l’ANPE n’a plus aucun sens et incite les gouvernements à la manipulation de ces chiffres. Ces statistiques demeureront certes utiles pour l’analyse conjoncturelle à un rythme mensuel et surtout pour connaître la nature des demandes d’emploi à un niveau géographique fin, ce qu’aucune enquête statistique ne permet, étant donnée la taille réduite des échantillons.»

1 commentaire:

tom a dit…

bee-boy!
Un bien bel article, tu devais songer à diffuser tes billets auprès de journalsites pour voir...

voici un lien vers un article qui propose de mettre en relation l'accès populaire à la propriété et le chômage...çà croise un peu les thèmes de tes derniers et futurs billets et surtout contrecarre les idées reçus en la matière:
http://libertesreelles.free.fr/spip.php?article44